Souvenirs souvenirs...

Le coucher du soleil n'allait pas tarder lorsque la reine mit pied à terre.
S'avançant doucement vers le bord du lac, son regard était distant.
Otant ses chaussures, levant legerement sa robe pour ne point être dessus, Clenalya se mit à genoux dans l'eau, ses fesses sur ses molets. Relachant sa robe qui se posa sur l'eau avec douceur, l'elfe ferma les yeux. Effacer Nëya, effacer Silmadien, effacer Dylan, et garder Lyete... Il serait tellement plus facile de tous les oublier au lieu d'en garder qu'un...

Ca fait combien de temps à présent ? Hein, combien ?
Les mains dans cette eau glacée, les paupières closes, rien ne l'avait tiré de sa torpeur.
Aucune trace de maquillage sur sa peau, seulement son teint naturel, qui, oui, avait reprit sa couleur d'antant.
La tête legerement baissée en avant, ses cheveux bougeant legerement lorsqu'il y avait présence de vent, elle semblait dormir...
Semblant fragile, l'elfe ne ressentait pas le froid de l'eau... Sa robe, fluide sur l'eau, semblait plus vivante que la reine en cet instant.
L'esprit à présent plus ordonné, Clenalya pouvait revivre, elle le devait, même si l'envie lui manquait... Rester ici, encore des siècles et des siècles... Attendre que ca se passe...
Le vent souffle...

"Quel désarroi... Je n'aurais cru que tu en éprouverais, alors que les choses semblent aller pour le mieux, Ombrenoire."
Se tenant en équilibre sur la branche d'un arbre dominant la clairière, l'assassin, la main droite apposée sur le tronc de son perchoir, toisait la créature gisant en contrebas, reconnaissant malgré sa figure pâle ses traits, ceux d'un être qu'il abhorrait autant qu'il respectait autrefois, mais dont le destin avait par tant changé qu'il était troublant que même un chasseur tel que le spadassin peine à retrouver les vestiges de la créature ainsi qu'il la connut dans le passé, pourtant proche.
"Elle n'a pu te faire disparaître, mais tu ne demeures plus chez les êtres de chair classique, cela se sent... Des traits par trop singuliers, n'est-ce pas?"

Cette voix... Oh, bien familière...
Un mince sourire sur son visage, qui se ranimait ainsi, la reine ouvrit les paupières, que le temps avait filé... Mais la journée ne s'etait pas encore achevée. Restant sur place, bien que bougeant legerement ses mains dans l'eau, Clenalya répondit d'une voix blanche, car n'ayant pas parlé depuis plusieurs heures, elle ne put sortir de son différent.
"Il faut juste en prendre l'habitude, Sorel. Toi aussi, tu as disparu pour re-apparaitre, et tu l'as oublié..."

"N'est-ce pas un trait spécifique de ma profession, après tout... Ce n'est pas de l'oubli, loin s'en faut, seulement une habitude, en effet, mais je dispose de cet atout de taille auquel tu ne peux prétendre, à savoir la possibilité d'en user selon mon bon vouloir. En ton cas, cela s'apparente à une malédiction."
Descendant de son perchoir, l'assassin, depuis le lourd capuchon tombant sur son front, couvrant apparemment ses yeux, regardait la créature, la jaugeant du regard alors que ses pas, accompagnés du souffle puissant du vent s'engouffrant sous les branchages des arbres trônant tout autour de la source et sifflant aux côtés des feuillages gisant au sol mais s'élevant sous les fortes bourrasques, le menaient à quelques mètres de l'être, auquel le spadassin adressait un regard passablement amusé, jouant de concert avec un léger sourire, qui proche de la raillerie demeurait tout de même neutre, enfin en ce sens qu'il ne choquait par sa largeur.
"De cadavre à assassin, dis-moi, Oreilles Pointues, ce qui te fait t'attarder ainsi en ce monde? De tes enfants, l'unique survivant n'est qu'une gamine débilitée par sa candeur, ton époux a rejoint les enfers qui lui étaient destinés, non que je ne le déplore, la dynastie Ombrenoire mérite-t-elle que tu souffres de la sorte?"

Se relevant, et revenant sur la terre seche, la reine s'occupait de secouer legerement sa robe.
" Tu as bien raison Sorel, plus même ma famille me rattache à ce monde. Serait-ce donc ce peuple ? Vois-tu, lorsque par Silmadien je suis passée reine et suis devenue Ombrenoire, je ne pensais pas m'attacher si fortement à mon rôle de reine. Desormais, je n'use que de cette fonction, ma fille étant encore trop sotte pour gouverner. Peut-etre pourrais-je partir definitivement lorsque celle-ci sera fin prête... Peut-etre..."
Legerement songeuse, Clenalya changea un peu de sujet.
"Et que devient Yria ? Ma messagère éprouve de la haine envers elle, il me semble pourtant qu'elle n'est pas revenue ici depuis... Depuis qu'elle t'a perdu, puisque toi tu ne l'a jamais perdue..."

"Que ce soit moi qui l'ai perdue ou non, il n'en demeure pas moins que je ne le sais avec certitude... Tu aurais davantage de chances de le savoir, Oreilles Pointues, la chasseresse et sa proie ont nombre de choses en commun, elle s'investit du mieux qu'elle peut dans ce qui lui importe, une dévotion inconsidérée, au Burdinuis ou à moi, je ne le sais, mais sa propension à s'attirer la hargne de quelques stupides elfes perdure, cela est déjà bien, n'est-ce pas..."
Laissant la question en suspens un instant, l'assassin, bien que n'ayant délesté sa réplique du comique dont elle recelait ne se sentait prompt à en rire, cette marque de cynisme davantage pavluvienne que réellement désirée. Laissant échapper de son gantelet la lame dont elle recelait, Khamsin l'observa un instant, puis réhaussa la tête vers l'elfe, continuant, ne laissant paraître son anxiété, la camouflant sous une version différant de peu de celle qui se présentait à son esprit.
"Tu demeures donc ici par obligation... Non, tu voudrais plus, assurement, tu n'es pas morte pour autant, aussi aberrant que cela puisse être. Et alors, que vas-tu faire, évinscer ta fille, faire croire que ce royaume t'appartient, et le diriger jusqu'à ce que ton corps se brise avant ton âme? Ton époux t'a toujours entravée, mais cela ne signifie pas que c'est en ce domaine que tu peux exceler. Tu veux me faire croire que tu résistes pour quelque chose, mais je le sais... Tu survis, aussi pitoyablement que cela t'est possible."

Un sourire sur les lèvres, la reine n'en attendait pas moins de l'assassin.
"Tu es tellement prévisible dans tes paroles... Vois-tu Sorel, il y a des secrets que je ne peux te dévoiler, sinon ils n'auraient plus de charmes. Officiellement, j'ai pour but d'instruire ma fille, après, mystère... Mais crois-moi, pouvoir enfin partir librement est la chose à laquelle je tiens, tu aurais vécu ce que j'ai vécu, tu me comprendrais... Mais la compréhension entre "anciens" ennemis n'est pas envisageable, n'est-ce pas ? C'est étrange pourtant, je n'en veux pas à ta femme de m'avoir tué..."
Un regard malicieux brillant au sein de ses yeux, Clenalya s'amusait beaucoup de cette conversation. Tant d'hypothèses qui ne pouvaient être verifiées...

"Ce ne sont mes paroles qui font de moi un assassin, c'est vrai, il est des frappes moins prévisibles que d'autres, mais je sais ce que tu as vécu, Clenalya, je peux te l'assurer... Tu n'as pas connu la mort, je l'ai connue par trois fois, étrangement les sensations que nous pouvons éprouver sont... similaires, tu ne peux désirer partir, car concrètement le désir n'est plus pour toi."
Marquant une pause, l'assassin s'attarda sur le sourire de l'elfe, sans le moindre sens, même pour une créature aussi absurde qu'elle, autant que les paroles qu'elle avait prononcé. Croisant les bras, se contenant de la forte brise qui passait sur son visage, faisant légèrement flotter sa capuche, et ses trousses, le spadassin reprit toutefois.
"Je ne sais ce qui est "ancien" ennemi, je le déplore, je n'ai connu que des banals ennemis, nul n'a l'honneur de pouvoir se dire ancien, faute du souffle de vie qui leur fut arraché. J'ai toujours des ennemis, mais je peux me targuer de pouvoir me dresser en face de celui qui dispose de ma plus haute estime et contempler le sourire paraissant sur son visage, pourtant..."

"Ah, Sorel. Je dois avouer que converser avec toi est toujours un réel délice. Voilà bien quelque chose qui aurait put me manquer."
Soupirant legerement, la reine reprit tout en observant l'assassin.
"Maintenant, dis moi, qu'es-tu venir faire ici ? Verifier que j'étais bien de retour ? Je ne pense pas..."

"Aucun des tiens n'a requérit que je me risque en ton royaume pour l'heure, Clenalya, ainsi, au risque de te decevoir, c'est bien ta prétendue renaissance qui m'a fait porté ici. Un tel ébranlement au coeur des forêts sylvaines demeurées silencieuses pendant quelques années, voilà qui a su susciter mon interêt, et celui que je porte aux terres et êtres s'étendant par-delà tes frontières."
Accueillant sans ciller la première remarque de l'elfe, traduisant que son comportement tout entier avait changé, l'assassin, impassible, ne perdit la mesure de l'évènement toutefois, et continua ainsi, sa voix, même si non empreinte de vindication, se faisant plus glaciale qu'au demeurant.
"De souveraine intriguante à sentinelle officieuse, quelles sont tes aspirations, dite Reine des Oreilles Pointues?"

"Mes aspirations se sauront au moment voulut, Sorel. Et, si tu retournes auprès de ta femme, tu les sauras plus vite. Ah, et aussi... j'aimerais bien que ma fille reste en vie, elle ne vaut pas encore grand chose question negociation, et j'aimerais pouvoir enfin prendre son éducation en main, car, comme je te l'ai dit, je ne compte pas m'eterniser ici."
Faisant quelques pas vers un arbres, posant sa main droite sur le tronc, la reine reprit.
"Et toi alors, Stimbelad était tout ce qu'il y avait de plus cher à tes yeux avec le Burdinuis... Il m'etonne de voir Yria gouverner toute seule, sachant qu'elle peine à s'en sortir..."

"Je n'ai pas de projets pour ta fille à l'instant, rassure-toi, pas plus que pour toi. Enfin cela perdurera, tant que tes intentions ne paraîtront trop... entravantes. Il en ira autant pour ton enfant que pour toi, qui revenue des morts sait mieux que quiconque qu'une situation peut se reverser le plus simplement qui soit."
Tiquant de l'oeil à la seconde remarque de l'elfe, l'assassin ne lâcha qu'un court soupir, un murmure marqué par ses lèvres tendues, reprenant forme dès que quelques secondes se furent écoulées, et que considérant le piège que tendait la souveraine le spadassin s'y engouffrait, ne se souciant guère de ce qu'il adviendrait désormais.
"Stimbelad demeure toujours dans mon coeur, si ce n'était le cas, je ne serais pas même venu ici, ce n'est pas le ressenti mais l'interêt que je lui porte qui m'a conduit en ces terres où je ne suis guère toléré. Yria gouverne ainsi qu'elle le peut, mon royaume occupe une large place dans mon coeur, mais elle... Elle est mon coeur lui-même, je n'irai à l'encontre de sa désaffection, au risque de briser davantage sa vie. Mais tu sais ce que c'est, après tout..."

Baissant les yeux, Clenalya ne put s'empecher d'affecter une de ses pensés à l'amour...
"Bien que cela m'etonne de te dire ca, je ne regretterais pas mes paroles... Aime Yria, ne la laisse jamais... Tu as de la chance d'avoir un être à aimer à tes côtés, et qui plus est te rends cet amour, alors profite-en, car comme tu l'as si bien dit, je sais ce qu'est l'amour, et je sais également ce que ca fait de le perdre..."
S'arretant de parler, pour se sentir faiblir, Clenalya n'aimait guère parler des choses qu'elle ne pouvait plus ressentir. Dissimulant ce trouble du mieux qu'elle le pouvait, elle reprit d'un ton des plus neutres possible.
"Un être viendra secourir ma fille, evite de le tuer, mais amuse-toi avec si tu le souhaite. J'aimerais savoir s'il tiendra le coup ou non, après tout, il sera roi après ma mort..."
Voilà qu'elle se trouvait à parler de ca avec un assassin, comme s'il allait l'écouter... C'était étrange la relation que la reine entretenait avec Sorel, oui, étrange...

"Ta vie auprès de Silmadien Ombrenoire, et sa mort, t'ont beaucoup appris, semble-t-il, Clenalya. Comme je l'ai dit, je ne 'm'amuserais' avec ce faquin que si je le vois comme necessaire, mais je saurais tenir compte de ta requête, si elle te tient tant à coeur."
Tentant de ne pas réagir aux premieres paroles formulées par la souveraine, le spadassin ne put tout de même contenir une émotion qui assombrit de beaucoup sa figure, figeant ses traits, exsangues un instant, avant que Khamsin ne balance la tête sur le côté, un rictus marquant son visage, puis ne la réhausse vers l'elfe.
"Il est un peu tard pour ne pas la laisser, Reine du pays des elfes, et je saurai récolter les fruits de pareil traitement que je lui ai infligé un jour, mais je saisis ton avis avec interêt. Vide de sentiment ou non, ton esprit demeure, que celui-ci te guide au mieux, et te prévienne de tous. Paix et sérénité sur ton âme, digne 'ennemie'."

Les paroles du spadassin furent acceuillies par Clenalya avec soin, et elle ne put qu'esquisser un très mince sourire.
"Je crois bien que mon âme ne sera en paix et sereine que dans plusieurs années encore, malheuresement. Puisses-tu continuer de monter le Burdinuis comme il se doit, peut-être un jour seront-nous ammenés à négocier, peut-être..."
Observant Sorel, la reine s'appuya contre l'arbre. Etrangement, converser avec l'assassin lui avait fait un certain bien, et lui avait rappelé certaines choses qu'elle aurait dut éviter d'oublier.

"La géopolitique de nos deux royaumes s'est au moins équilibrée, que nul ne perturbe cette harmonie, et l'entente sera envisageable. J'ai connu trop de choses pour être confiant en cela, mais sache choisir ta position, et je saurai quelle sera la mienne. Si des maux surgissent au fil de l'esquisse de vie te restant, fais-m'en part, et certains des guerisseurs si fameux de mes terres pourront peut-être t'apporter une solution. Kashaz melha, Clenalya."
Hôchant le tête, figurant une reverence, l'assassin attarda son regard quelques instants sur l'elfe, dont si il abhorrait son espèce lui paraissait davantage posée désormais, puis alors qu'un coup de vent parcourait les fourrées recula de quelques pas, puis prit rapidement la fuite, gravissant le tronc de l'arbre se tenant jusqu'alors dans son dos et usant de son reseau de branchages, courant à mesure que le souffle agitait leurs feuillages d'arbres en arbres, s'échappant de cet enfer vert par trop fréquenté par les Oreilles Pointues.
*Il est temps de souffrir davantage, donc...*

Acquiecant d'un hochement de tête, la reine eu tout juste le temps de lacher un :
"Bonne route, Sorel..."
Toujours admiratrice devant l'agilité et la rapidité de cet assassin, Clenalya alla chercher sa monture, qu'elle avait attaché des heures avant à un arbre, mais de sorte à ce qu'elle puisse etancher sa soif. Se remettant en selle, elle se dirigea vers Alleris. Il y avait tant à faire encore...