Rage, fureur et desespoir

-Oh, non.

D'un mouvement sec il revint assis, les jambes croisées. Un moment d'innattention probablement. Ou était passé ses bonnes manières?

-Je veux dire, a vous de voir. Je ne suis pas fatigué. Veuillez m'excuser, je ne voulais surtous pas vous faire sentir ennuyante, ce qui n'est pas le cas.

L'elfe se mit a rire.

" Rassurez-vous, jeune homme, vous ne m'avez point offensee. En revanche, le soir tombe et ma peau commence a ressentir les effets du froid. Si cela ne vous derange pas, je vais allumer un feu. Cela nous eclairera parmi la brume qui submergera le fleuve cette nuit. "

Joignant le geste a la parole, elle se releva et rassembla rapidement du petit bois, ce qui n'etait guere difficile a trouver, puisqu'ils se trouvaient a proximite de la foret. Pendant quelques minutes, elle s'affaira ainsi a ramasser de quoi alimenter le feu. Lorsqu'elle revint pres de Turambar toujours assis, elle remarqua de nouveau la taille extraordinaire de celui-ci. Meme debout, elle n'etait pas tellement plus grande que lui. Cette pensee lui amena sur le visage un sourire amuse. Elle s'accroupit, empila bois et herbes seches, et s'appreta a utiliser sa magie pour allumer le foyer. Bien pietre en verite, mais cela ferait l'affaire. Apres quelques instants de concentration, l'energie contenue dans ses paumes se libera et vint embraser le feu. Satisfaite, elle se releva, et se rassit tout pres de l'humain.

" C'est mieux ainsi, n'est-ce pas ?"

Il regarda le feu, puis haussa un sourcil. Cela lui aurait pris plusieurs minutes, peut-être même une heure à essayer de faire du feu, alors qu'elle n'avait qu'à penser, et hop, un feu apparait. Il avait toujours détesté la magie, ou du moins en combat, trouvant ces techniques lâche et moins amusante. Mais apparemment ça a ses alternatives pratiques.

"Humm... Je crois bien oui. Dommage que je ne sois pas un barde, j'aurais pu chanter quelque chose..."

Il se mit à rire puis reporta son attention sur le feu.

L'elfe rit de plus belle. Ces minutes de plaisir etaient la recompense de ses voyages incessants et epuisants... Le partage de deux etres de races differentes.

" Hmm.. Rassurez-vous, presence de barde ou pas, votre compagnie reste agreable pour autant. "

Elle se tut un instant et le regarda, tete penchee. Elle jugea qu'il etait digne de confiance... Il avait cite Silmadien quelques temps plus tot... se connaissaient-ils tellement ? Alassea se demanda si les dirigeants d'Hortonur avaient informe les populations humaines du retour de la dynastie Ombrenoire... Bah, apres tout elle pouvait bien le lui reveler... Et il avait le droit de savoir.

" Je crois me souvenir que vous avez cite Silmadien dans notre conversation il y a peu tot... Pourquoi ? "

Il releva son regard à ses mots, et la regarda

"Silmadien ? Pourquoi ? Bah parce que je le cherche. Je n'ai pas eu de ses nouvelles depuis bien des lunes, et je ne trouve plus sa trace. Bien-sur aucun homme ne peut m'apporter de réponse, et vous êtes la première Elfe que je vois depuis un bon moment. Vous savez où il est ?"

L'elfe baissa les yeux, ne pouvant regarder en face le jeune homme. Une larme coula, glissa le long de sa joue, jusqu'a rejoindre son cou. Ses poings crispes, elle decida de se lancer finalement... La douleur, toujours la douleur....

* La mort n'est pas une chose si serieuse... la douleur, si...*

" Je... j'ignore si vous etes au courant de ce qui s'est passe, mais comme vous m'avez avoue disposer de peu d'informations sur le peuple elfique, je vais vous les fournir. "

Elle le regarda de nouveau dans les yeux.

" Je vous ai menti tout a l'heure... Je ne suis pas au service de Lyete Ombrenoire, mais de sa mere revenue d'on ne sait ou... Clenalya. Son fils est mort... Elle-meme est reduite a l'etat d'ombre, bien qu'elle s'accroche a la vie avec courage. Quant a Silmadien...."

Deux nouvelles larmes...

" A l'heure ou je vous parle... il a rejoint son enfant... "

Turambar sentait en lui quelque chose d'étrange. Un sentiment créé à partir de peine et de pitié, causé par la perte de son ami. Mais la mort n'est pas nécessairement mauvaise chose. Il ne connaissait pas très bien sa femme, ni son fils d'ailleurs, mais il eut pitié d'eux. Comme le dit un grand homme un jour : "Nombreux sont les morts qui méritent la vie, et nombreux sont les vivants qui méritent la mort."... mais il devait faire avec, et continuer à vivre sa vie.

"Vos nouvelles sont tristes, mais ma curiositée est maintenant tut. Je ne connais pas les circonstances de sa mort, mais je suppose que la mort peut être une bonne alternative comparée a certains tourment d'une longue vie d'Elfe. Je suis sûr qu'il est mort dans l'honneur et la dignité."

Il ne pouvait s'empêcher de détourner le regard de la braise. Celle-ci était devenu rouge écarlate et captivante pour les yeux de Turambar. Ceux-ci brillèrent d'un feu pâle et calme, peiné et stupéfait à la fois. Assis, portant sa grande cape noire, sur une buche près du feu, son heaume scintillait de rouge et d'or, sa tête penchée légèrement en avant bien accoté sur son poing. Soudain, il regarda de côté, et aperçu la dame Elfique. Il avait complètement oublié sa présence, étant plongé profondément dans ses pensées.

Desireuse de lui laisser le temps de comprendre la situation et surtout, de l'accepter, Alassea avait garde ses yeux fixes sur le feu, songeant plus a Clenalya qu'a Silmadien, l'ayant mal connu. Clenalya... qu'etait-elle devenue... Elle soupira. Cela ne servait a rien de remuer les souvenirs douloureux. L'elfe aurait aime que rien de tout cela ne se soit passe... comme d'ailleurs tous ceux qui vivaient des heures si sombres... Mais ce n'etait pas a elle de decider. Tout ce qu'elle avait a decider etait quoi faire du temps qui lui etait imparti.
Quelque peu apaisee par ces sages pensees prononcees il y avait fort longtemps par son pere, la messagere se tourna alors vers Turambar. A ses yeux, elle vit que lui aussi avait quelque peu perdu pied dans la realite. Alassea lui sourit, comprehensive.

" Parlez moi de vous. Vous avez souvent rencontre des elfes dans votre vie ? Que pensez vous d'eux ? "

D'un geste vif il haussa la tête, et se plongea de nouveau dans ses pensées pour une fraction de seconde, puis stupéfait regarda l'Elfe.

"Moi ? Je n'ai pas grand-chose à dire sur moi. Je ne saurais pas trop comment me décrire. Je ne suis pas un aventurier, puisque je n'ai pas de but précis, je ne suis pas non plus un bandit, j'essaie de respecter les lois... Je suis un Homme, je parcours le monde a la recherche de quelque chose à faire d'important... Pour donner un sens à ma vie j'imagine... Mais je ne sais pas quoi..."

Il s'arrêta un moment, re-fixa le feu, puis reprit...

"Des Elfes ? j'en ai vu pas mal dans ma vie d'homme, car nombreux sont ceux qui n'en voient pas dans la leur, et j'en ai vu par centaine, voir par millier. Je les ai observé lorsque j'étais plus jeune, vos arts de vivres et coutumes, votre sagesse, et vos techniques de combats m'ont longtemps fasciné... Bien que j'aie vu de mes yeux des Elfes lâches et hautins, qui méritaient la mort selon moi, j'ai aussi vu de grand et brave Elfes, comme Silmadien, et de petite et jol..."

À ses derniers mots, il tourna les yeux vers l'Elfe l'espace d'une seconde, puis re-fixa le feu. Il s'efforça, mais ne pût s'empêcher de faire un sourire en coin quelque seconde. pour une des premières fois son filtre a émotion avait fait défaut. Il passa néanmoins à autre chose rapidement.

"Et vous ? Que pensez vous de la race Homme ?"

Laissant échapper un rire léger, Alassëa déclara :

" Il y a toujours des choses à dire sur soi. Surtout que ce n'est guére comme si vous aviez une existence banale de marchand, ou de sédentaire. Vous voyagez constamment, sans aucune famille. Sûrement que votre regard perçoit des choses que tout le monde ne voit pas forcément. C'est une longue expérience, vous savez... Le sens que vous désirez trouver à votre vie... je pense que votre personne finira par réaliser lequel est-ce. Mais pour cela, vous avez besoin de cette existence migrante. Après tout, on n'apprécie pleinement l'éclat de la lumiére que quand l'on a cotoyé les méandres des ténébres. "

Acquiesçant lorsque l'elfe entendit l'humain faire l'éloge de son peuple malgré quelques dérapages propres à toutes les races de tous les mondes, la messagère, eut un sourire chaleureux... avant de percevoir quelles seraient les mots finals de la phrase inachevée de Turambar. Attendant quelques instants, elle se rendit compte qu'il n'irait pas au bout de ses pensées. C'était son droit le plus légitime. Discrète, elle ne le poussa pas, et fit comme si elle n'avait rien remarqué, se concentrant plutôt sur la réponse qu'elle allait fournir.

" Les hommes... que dire sur eux ? Ils sont brillants, et maladroits à la fois... Courageux et lâches... Intelligents et stupides... Comme nous autres, elfes. Il n'existe pas de réelles différences entre nos deux races, hormis les divergences physique. Notre civilisation est simplement plus ancestrale et dotée d'une durée de vie plus importante. Mais elle ne nous rend pas plus grandioses, pour autant. Ainsi, j'aime les hommes. Je les comprend parfaitement, du moins je le pense, et les apprécie. Ils valent bien mes congénéres... "

Turambar fronça les sourcil, étonné et déstabilisé.

"Vous êtes étonnante. Vous êtes la première Elfe à me répondre que l'Espèce Humaine et Elfique sont aussi proches. Cette différence de longévité est selon moi suffisante pour dire qu'elles sont très différentes. Vous êtes encore si jeunes et vivace alors que notre corps faibli peu après la cinquantaine. J'ai vu des hommes maudire les Elfes à cause de cela. Nous pouvons atteindre votre force l'espace d'un moment, puis nous déclinons et mourrons... Tout cela dans l'espace d'un fragment d'une vie d'Elfe..."

Et reprit...

"Vous avez peut-être raison sur ma personne. Mais pour l'instant je suis dans la pénombre. Les ténèbres m'ont si souvent accompagné. J'ai connu bien des gens qui seraient mort, et quelques-uns qui le sont en asseyant de me suivre. On m'a toujours dit qu'une aura noire pesait sur mon destin, et je le crois volontié, car je suis seul et j'ai eu bien des compagnons, tous tué d'une façon indigne et devant mes yeux. Une embuscade d'Orc, une flèche perdue... C'est plus par chance que que je suis toujours vivant, et que j'échappe toujours à la mort, car j'ai échappé plusieurs fois à mon destin noire grâce à un véritable coup de dés mortel. Étrange non ?"

Turambar dégaina Gurthang et joua dans la braise, changea ses idées et pensa à autre chose. Il la rengaina.

"Et vous ? Qui êtes-vous ? A part messagère du Roi, que faites vous ?"

Le visage de la jeune femme prit une teinte plus sombre.

" Je sais. Il est plutôt rare que mes compatriotes fassent preuve d'indulgence envers votre race. Et cette longévité qui nous posséde est à la base de cette séparation. De votre côté, comme du nôtre. Vous-mêmes venez de le faire remarquer. J'ai envie de vous détromper sur ce point, même si fondamentalement, vous n'avez pas tort. Mais parfois je me demande si... "

Consciente de l'influence que ses paroles pourraient avoir sur cet homme ressemblant étrangement à un aventurier sans quête, Alassëa prit le temps de formuler ses paroles d'abord silencieusement dans son esprit.

" Je me demande si les elfes ne sont pas parfois jaloux de votre courte durée de vie. Vous savez, lorsque l'on a perdu beaucoup de choses, l'on perd la foi que l'on pouvait avoir en la vie. Mais le suicide est extrêmement rare et mal vu chez nous, vous comprenez ? Les elfes pensent que leur longévité les rendent supérieurs à vous, humains, mais en leur coeur, la rage gronde. Surtout pour ceux qui vivent paisiblement dans nos villes. Ce que j'admire chez les gens de votre peuple, c'est votre capacité à savourer chaque instant de votre existence, à le rendre unique. "

S'arrêtant là dans son discours presque passionné, la messagère reprit :

" Ne perdez pas confiance en votre avenir. Vous êtes jeunes. Et vous avez la vie devant vous. Un jour vous vous poserez enfin, et votre vie trouvera enfin un sens, entouré d'une compagne, et qui sait, de descendants. Cela arrive plus vite que l'on ne l'imagine. "

Sa main posée sur le bras de Turambar avait ponctué sa réplique, avant que l'elfe ne termina :

" Qui je suis ? Une simple messagère au service non d'un roi, mais d'une reine. Je n'ai jamais été proche de Silmadien. Rarement, je l'ai aperçu, au contraire de ma relation privilégiée avec notre reine... finalement, il n'y a que peu de choses à dire sur moi, également. "

Un petit rire sortit une nouvelle fois de sa gorge.